LES MISSIONS AU JAPON ET EN CALIFORNIE   

À la veille d’accueillir nos ambassadrices du Japon, du 21 au 26 septembre prochain, il m’a paru intéressant de jeter un œil sur la découverte historique de cette civilisation millénaire par les Occidentaux, au 16e siècle. D’autre part, en octobre, certains d’entre nous s’envoleront vers la Californie. La visite d’un poste franciscain, prévue au programme, est l’occasion d’une rétrospective de l’activité missionnaire en Basse et Haute Californie, à partir du 17e siècle. Espérons que les incendies et les inondations n’en auront pas détruit les traces!

Les Jésuites au Japon

Leur présence est attestée dès 1549. Le jésuite François Xavier est le premier missionnaire à fouler le sol japonais. Son activité sera brève et décevante, vu la méfiance des autorités – shoguns et seigneurs de guerre – et les tiraillements politiques entre Portugais et Espagnols.  De leur côté, les stratégies d’intervention des ordres missionnaires en Asie , franciscain et jésuite surtout, divergent totalement. Les conflits dégénèrent plus tard avec l’arrivée de colons et de pirates hollandais et anglais, à couteaux tirés , mais unis par leur protestantisme.

Le Japon dont il s’agit n’est que la frange sud-ouest de l’archipel, là où se trouvent Okinawa et, plus au nord, Nagasaki. Ailleurs, ils sont bannis et persécutés.  Les querelles théologiques et stratégiques entre jésuites et autres ordres achèvent de les discréditer aux yeux des Japonais. Au début du 17e siècle le pays est fermé pendant deux siècles, jusque vers 1845,  à toute communication avec l’Occident.

«  L’ensemble des chrétiens japonais ne dépasse pas, aujourd’hui, un pour cent de la population du pays, et moins de la moitié est catholique. » (1)

Pendant ce temps, en Californie …

En Amérique, les rivalités politiques entre Portugal et Espagne sont loin de s’apaiser après 1493 (bulle papale qui partage le monde entre les deux États).  En conflit ouvert, les ordres voient leurs efforts missionnaires fragilisés.

En 1572, les jésuites débarquent au Mexique. Rapidement, ils apprennent les langues locales, ouvrent des collèges et forment les indigènes. Ils luttent contre leur esclavage et créent des réductions (zones protégées et évangélisées), allant même jusqu’à  l’ordination sacerdotale des indigènes, dès 1592, ce qui suscite des réactions violentes de l’évêque.

En 1697, les jésuites ont déjà fondé une mission en Basse-Californie. Ils dressent des cartes, forment des interprètes, soignent, enseignent et s’adaptent aux coutumes locales. En 1711, on introduit l’agriculture de pointe jusqu’au sud-ouest des États-Unis. En 1765, la menace d’invasion de la Russie sur les côtes oblige les colons à une autosuffisance alimentaire. Un scandale éclate en 1761 (corruption d’un jésuite haut placé). La compagnie est malmenée par le vice-roi. L’occasion est belle de supprimer la Société de Jésus en 1763. Elle le sera partout de 1773 à 1814. C’est durant cette interruption que l’ordre des Franciscains prend la relève. Ainsi, la mission de Santa Barbara (que visiteront nos ami.e.s bientôt) apparaît en 1786.

Vers 1832, d’autres jésuites, surtout Belges, renouvellent leur présence dans le sud-ouest américain, comme interprètes, agronomes, médecins, éleveurs, en plus de leur activité religieuse. Cette fois, ils sont en concurrence avec les missionnaires protestants.

Depuis 1848 (entrée de la Californie dans les USA), les jésuites ont poursuivi leur dialogue avec les cultures autochtones, lutté contre l’esclavage, adapté leur activité missionnaire aux besoins des immigrants. Aujourd’hui, ils sont présents dans 120 pays, participant aux mouvements de libération et à l’aide aux réfugiés, mais freinés plus ou moins dans leur évangélisation.

Les stratégies des Jésuites

Jésuite : qui agit de façon hypocrite (le Petit Larousse)

Dès leur fondation en 1534 par Ignace de Loyola, les jésuites considèrent l’idéal humaniste, hérité des Grecs et Latins de l’Antiquité, compatible avec la foi catholique. Par les sciences de la nature, ils cherchent à séduire les peuples et les convertir à une spiritualité chrétienne respectueuse des traditions locales (peu manifeste en Nouvelle-France. Voir Sainte-Marie-des-Hurons, à la Baie Georgienne ).

Apprendre leurs langues, s’instruire de leurs mœurs, s’habiller et manger comme eux, chercher les traits communs entre toutes les cultures, développer entre missionnaires une correspondance assidue – Les Relations des jésuites -, voilà les stratégies héritées d’une formation intellectuelle longue, durant 15 ans. C’est donc armés de télescopes, de cartes et de compas que les jésuites imposent le respect aux princes et aux érudits. Ils s’accommodent des rites indigènes, tel que le culte des ancêtres, qui ne relèvent pas selon eux de la superstition et qui peuvent s’intégrer au christianisme. Mais cet humanisme accueillant ne plaît pas à tous. Les capucins les dénoncent à Rome. Les jansénistes, comme Pascal, les accusent de tolérer et d’encourager les croyances des infidèles. À cela s’ajoutent les intrigues politiques des puissances européennes. La suppression de la Société pendant quarante ans en sera le prix. Avec elle fléchira cet esprit de tolérance, souple et universel, que la Renaissance avait mis à l’honneur.

(1) Marin, Catherine, Anthologie de textes missionnaires, Brepols, 2007