La nation huronne-wendat   

Kwe! Le village de Wendake est riche d’histoire. Le site est fabuleux : chute Kabir Kouba de la rivière St-Charles, parc linéaire de 32 kilomètres, musée-hôtel (4 étoiles), maison longue, église patrimoniale, artefacts, créations artisanales, capsules d’information, gastronomie du terroir et hébergement raffiné.

Notre redécouverte de la nation huronne-wendate a eu lieu, il y a quelques années, lors d’une visite à Sainte-Marie-des-Hurons, située près de la baie Georgienne. Puis, par celle de Wendake, ces jours derniers. Enfin, par la lecture de l’ouvrage de Graeber et Wengrow, qui ont traité largement de cette nation dans leur livre. Les deux auteurs se basent sur les témoignages des envahisseurs européens pour nous la décrire. La liste serait trop longue pour les rapporter ici. En voici quelques-uns.

Sur les rapports sociaux

Vers 1630, Gabriel Sagard, un frère récollet, «… d’abord très critique de leur mode de vie… changea d’avis vers la fin de son séjour, concluant que leur organisation sociale était supérieure sur bien des plans à celle de la France.» (1) «Ce qui aide encore grandement à leur santé est la concorde qu’ils ont entre eux, qu’ils n’ont point de procès, et le peu de soin qu’ils prennent pour acquérir les commodités de cette vie, pour lesquelles nous nous tourmentons tant nous autres Chrétiens.» (2)

«Les Wendats étaient spécialement choqués par le peu de générosité dont faisaient preuve les Français les uns envers les autres. (…) Les Wendats, quand il leur était donné d’observer des Français en pleine discussion, retenaient surtout le fait qu’ils semblaient parler tous en même temps sans s’écouter (…) Pour un Wendat, monopoliser la parole était aussi grave que d’accaparer les ressources vitales en refusant de les partager.» (3)

Sur la notion de liberté

«Tout concourait chez eux à empêcher que la volonté d’un être puisse être enchaînée à celle d’un autre». (4) Il y a d’abord les témoignages directs, comme ceux de Kondiaronk, un chef wendat d’une grande intelligence et un orateur puissant. Ce dernier dit : «Ô quel genre d’hommes sont les Européens! Ô quelle sorte de créatures! Qui font le bien par force, et n’évitent à faire le mal que par la crainte des châtiments! (…) Nous ne voulons point recevoir ni connaître l’argent (…) Depuis que le monde est monde, nos pères ont vécu sans cela.» (5)

Sur la justice

«Je ne crois pas qu’il y ait peuples sur la Terre plus libres que ceux-ci (…) en sorte que les pères n’ont ici aucun pouvoir sur leurs enfants, les capitaines sur leurs sujets et les lois du pays sur les uns et les autres qu’autant qu’il plaît à un chacun de s’y soumettre; n’y ayant aucun châtiment dont on punisse les coupables.» (6) En effet, c’est tout le clan qui doit payer un dédommagement au clan de la victime, et non pas l’individu fautif.

Sur l’éducation

La discipline, au sens de pratique punitive et coercitive, était inconnue chez eux. Ce sont les préceptes de la nature elle-même qui font foi de l’éducation. Benjamin Franklin, en 1753, écrit à un ami : «… qu’un enfant indien soit élevé parmi nous, qu’il apprenne notre langage, qu’il s’habitue à nos usages, il suffira d’une visite à ses parents, d’une course indienne avec eux, pour qu’il ne veuille jamais revenir parmi nous.» (7)

Sur la spiritualité

«Les Wendats passent beaucoup de temps à essayer de déchiffrer le sens des rêves.» (8) Il s’agit avant tout d’un effort pour connaître les forces de la nature et leur propre esprit. Les esprits maléfiques, porteurs de mort, ne sont guère différents de nos virus et microbes. Les sentiments que la terre-mère suscite en eux valent mieux que les codes artificiels de nos élus et financiers.

Voilà un aperçu des valeurs wendats avant l’arrivée des Européens, équipés de poudre et d’acier, de germes et d’alcool, de compétition et d’égoïsme. Leurs notions de dignité étaient aux antipodes de celles de leurs envahisseurs. Des commentaires de la sorte, on en retrouve des dizaines d’autres. Les Wendats considèrent les Européens comme des créatures abjectes, obéissant à des despotes, divisés entre eux, cupides, brutalisant leurs femmes, apportant des maladies, ne respectant ni la nature ni eux-mêmes.

La parole aux lecteurs

Le livre a reçu un accueil remarquable en 2021. On trouvera en ligne des commentaires élogieux sur cette œuvre. Certains critiques doutent que l’art de vivre des Premières Nations soit compatible avec les défis de notre époque.

Une lectrice perspicace m’a demandé si les auteurs ont pris en compte l’accroissement démographique dans les choix alimentaires d’Homo Sapiens, et en particulier l’adoption de l’agriculture pour y faire face. Assurément. Réciproquement, le fardeau des tâches agricoles a pu encourager une hausse du taux de fécondité. Ce qui est certain, d’après les chercheurs, c’est que des zones agricoles prospères ont parfois été évacuées par leurs occupants, à l’avantage des territoires de chasse, de pêche et de cueillette. Il est admis aussi que notre espèce a parfois frôlé l’extinction par suite de phénomènes climatiques ou telluriques. Des charniers gigantesques ont été retrouvés près des zones agricoles, bien qu’on en ignore la cause. Famine causée par une infestation? Pandémie due à la promiscuité entre le bétail et l’humain? Guerres intestines ou tribales? On comprend pourquoi Homo Sapiens a dédaigné longtemps ce mode de vie. Des fourmis aussi pullulent puis se livrent à des carnages, à la suite d’une pénurie de nourriture.

Chez les Hurons-Wendats, les mythes étaient fantaisistes, comme par exemple, celui de la tortue portant la Terre sur sa carapace. C’est oublier qu’en 2024, nos propres mythes s’étalent aussi sans complexes, comme, par exemple, celui du dieu argent, symbole de la valeur d’une personne. La croyance aux ressources inépuisables de la planète fait aussi partie du lot. Les Wendats croyaient au contraire que la sobriété était source de liberté et que le partage des biens les protégeait du pouvoir d’une élite.

L’appartenance de l’autochtone à la terre-mère ne serait pas normale selon nos développeurs, mais plutôt l’inverse : l’exploitation illimitée de la terre-objet, sa propriété.  Mais qu’est-ce qui est normal? Est-il normal que la population humaine soit passée d’un seul milliard, il y a un siècle, à huit milliards aujourd’hui? Que les sols arables se raréfient et exigent de plus en plus de pesticides toxiques? Que les océans se vident de leur faune? Que la résistance humaine aux virus soit de plus en plus compromise? Que l’eau potable et l’air pur deviennent des denrées rares?

Le mot de la fin

Selon Graeber et Wengrow, Homo Sapiens a longtemps expérimenté des modes de vie multiples. Mais cette liberté d’invention peine à se perpétuer à l’ère moderne, même si, paradoxalement, la technologie accomplit des avancées considérables. La mobilité sociale (le télétravail en est un exemple) dissimule un enfermement idéologique dont il faudra bien un jour se libérer, si l’humanité veut survivre. L’individualisme, le consumérisme et l’autoritarisme nous dirigent droit vers la banquise.

1- Graeber, David et Wengrow David, Au commencement était … Une nouvelle histoire de l’humanité, éd. LLL, 2021, page 59.

2- id p. 60    3- id p. 60    4- id. p. 71   5- id. p. 77

6- id. p. 63   7- id. p. 37 et Franklin, 1866, p. 368-369    8- id. p. 576