L’indice du bonheur

Peut-être les rapports annuels des Nations Unies vous intéressent-ils? Celui de 2023 sur l’évaluation du bien-être des gens à travers le monde est assez instructif. L’économiste Pierre Fortin en a traité dans le magazine L’actualité (1). La cueillette d’informations, rappelle-t-il, est faite « …à partir de sondages effectués par l’institut Gallup auprès de centaines de milliers de répondants dans 146 pays, et ce de 2005 à 2022. Les participants étaient invités à situer leur niveau de satisfaction générale à l’égard de la vie sur une échelle de 0 à 10. » (2)

Au cas où ce palmarès vous aurait échappé, j’en tracerai les grandes lignes, ainsi que le sens à donner à ce classement.

D’abord, quels sont les indicateurs retenus par les analystes pour établir ce fameux indice? Ils sont au nombre de six :

  1. Le revenu per capita
  2. Les conditions de santé
  3. L’espérance d’un soutien social
  4. La liberté de faire des choix de vie
  5. La générosité citoyenne
  6. L’abri de la corruption

Vous trouverez en ligne le tableau du classement des 146 pays, édité en 2023 (3). Je me bornerai ici à relever les dix premiers pays et les cinq derniers, selon l’indice du bonheur.

Les plus heureux, en ordre décroissant : Finlande, Danemark, Islande, Suède, Israël, Pays-Bas, Norvège, Luxembourg, Suisse et Australie.

Les moins heureux en ordre décroissant : Afghanistan, Liban, Lesotho, Sierra Leone et Congo (Kinshasa).

À remarquer que le Canada se situe au 15e rang des États les plus heureux, dans le classement général et le premier du G7.

« Si le Québec était un pays », écrit Vincent Brousseau-Pouliot, « les Québécois formeraient même le peuple situé au 6e rang des plus heureux au monde » (4).

Pour leur part, les États-Unis se classent au 23e rang » en raison d’une baisse importante du bonheur des jeunes Américains, qui ont le moral dans les talons » (5). Année après année, les pays scandinaves dominent le classement. Il faut croire que la sociale-démocratie a encore de beaux jours devant elle.

Vous trouverez chez Vincent Brousseau-Pouliot dans La Presse et Pierre Fortin, dans L’actualité une analyse fine des données du classement.

Critique

Aimez-vous les palmarès? – Moi, non. Car ils véhiculent la notion de mérite que je trouve néfaste. On compare entre eux des individus, des groupes, des peuples, des institutions, en suggérant que les qualités civilisationnelles déterminent la performance des meilleurs. Pour être valable, un palmarès doit se baser sur des critères mesurables, objectifs, sans parti pris ni biais statistique. L’indice du bonheur des 146 pays considérés ne remplit pas ces conditions. Il est basé sur les perceptions des personnes interrogées. Les six critères retenus ont parfois un sens différent selon la classe sociale de chacun (par exemple, la notion de liberté). Notons aussi qu’il existe des écarts importants dans un même pays selon qu’on considère l’âge, le sexe et les événements survenus au cours d’une même année (guerre, pandémie, catastrophes naturelles, par exemple).

Mais d’abord, qu’est-ce que le bonheur?

On le mesure souvent à l’échelle des satisfactions ressenties par un individu et la quantité de biens dont il dispose. Ce point de vue s’apparente à celui de l’épicier qui fait le bilan des profits et pertes de son commerce. Or, l’état de bonheur ne tient pas à une somme d’actions ou d’objets, mais à une qualité de bien-être, de sentiment et de raison, face aux aléas de la vie.  

La prescription biblique de dominer la terre et ses richesses a été très pernicieuse. Pas surprenant que le monde se divise entre optimistes et pessimistes : deux attitudes aussi absurdes l’une que l’autre. Par exemple, l’optimiste se réjouit de la diminution d’insectes dans le pare-brise de son auto : il économise en lave-vitre. Le pessimiste s’en inquiète car les oiseaux qui s’en nourrissent disparaissent à vue d’œil. Les pesticides qui en sont la cause infligent des perturbations à notre environnement. Il résulte de notre désir de bonheur immédiat une insouciance à l’égard de notre conservation à long terme. Or, comme dit Spinoza, le désir est l’essence même de l’homme. Ce désir ne peut ni ne doit être méprisé, dit-il, car c’est une puissance d’agir positive, mais il doit être soumis à la Raison. Quant à l’Univers, il est complètement indifférent au sort de notre planète et à sa gestion par l’homme. La Terre est insignifiante à l’échelle de l’Univers mais le bonheur y est à poursuivre.

  1. World Happiness Report, 2024 – Country Rankings by Life Evaluation in 2021-2023.
  2. Fortin, Pierre, L’actualité, Octobre 2023 – Les indicateurs du bien-être.
  3. Op. cit
  4. Brousseau-Pouliot, Vincent, La Presse, le 20 mars 2024, L’argent du bonheur.
  5. Op. cit.