Intelligence naturelle I.N.

J’ai toujours aimé l’automne, une saison intelligente. Chaque arbre confectionne ses bourgeons pour l’année suivante. Chaque brindille, chaque insecte s’efforce de se perpétuer avant de disparaître. Je suis jaloux de leur aisance à concilier leur effort individuel de survie avec les pratiques d’entraide propres à leur espèce. Compétition, oui. Génocide, non. Magnifique !

Le monde minéral n’est pas en reste. Bientôt, il gèlera à pierre fendre. Est-ce à dire que les pierres ont aussi une intelligence naturelle? Les pierres précieuses, l’or et l’argent, arrachés aux Incas et Aztèques, regorgent dans la cathédrale de Séville. Une obscénité. Or, ces métaux rares et quelques autres n’ont qu’à bien se tenir : ils sont dans la mire de nos géants du numérique. Ils font saliver les magnats de la Silicon Valley. À quoi servent leurs ordis ? – À des avancées magistrales, bien sûr, mais aussi à la production d’images et de paroles fictives prêtées à des personnes réelles. Bientôt, on lira en ligne : « Madame X, AFFINITÉclic considère que vous épouserez Monsieur Y, de Tombouctou. Pour compléter votre mariage, veuillez appuyer sur le 1. »

Nos artifices ne sont jamais qu’une pâle copie de l’œuvre de la nature. C’est elle qui aura toujours le dernier mot. La fragilité humaine est là pour rester, peu importe le type d’intelligence choisi. Tôt ou tard, le cosmos nous rappellera à l’ordre. Pour vous en convaincre, voici un extrait d’un ouvrage sur la Préhistoire du Québec :

Il y a 66 millions d’années, 70% des espèces vivantes de la planète ont été violemment éradiquées de la surface du globe. (…) Une énorme comète de la taille du Mont Everest frappa (notre Terre). L’explosion fut l’équivalent de plus d’un milliard de fois la force des bombes nucléaires qui détruisirent Nagasaki et Hiroshima. Au point d’impact, la température atteignit 8000*C en l’espace d’un clin d’œil. (…) Tous les écosystèmes s’effondrèrent (…) Toutes les familles de dinosaures furent anéanties. (1)

Ouf! Remarquez que la Terre n’est que l’une des milliards de planètes de l’univers. La nôtre n’a droit à aucune considération particulière. Or, si une sixième extinction devait avoir lieu, comme prévu, encore faudrait-il, d’ici là, épargner aux humains des souffrances inutiles, telles que l’épuisement de l’air, de l’eau et des denrées vitales. Ce n’est pas en agrandissant nos dépotoirs au-dessus des derniers aquifères, à Mirabel et ailleurs, que nous rendrons plus joviale la prochaine pénurie. Ce n’est pas en choisissant des chefs d’État fraudeurs, prédateurs, misogynes et violents, que les hommes assureront à leurs femmes et enfants la santé, l’éducation et la joie de vivre.

Ce n’est pas en bouffant du plastique à même nos aliments, ou en laissant ses particules s’infiltrer sous notre peau au contact de nos vêtements, que notre intelligence naturelle gagnera en subtilité. Par contre, celle-ci pourrait s’exercer à construire des serres sur les toits des immeubles pour compenser la perte de sols arables. Notre intelligence pourrait concevoir l’aménagement de rues entièrement dédiées à la marche, course, vélos, patins, skis, poussettes et fauteuils, avec passages surélevés, légers, aux intersections. Et ainsi de suite.

Conclusion

Nous ne devrions pas sacrifier nos capacités d’intelligence naturelle, séculaires et collectives, à une poignée de génies informatiques, tout prodigieux qu’ils soient, et à leurs commanditaires pressés de nous décerveler.

Dame Nature doit rester notre maîtresse. La technologie ne crée rien. Elle ne fait qu’utiliser plus vite et plus finement les forces existantes, telles que lumière, chaleur et mouvement. L’IA en est un exemple. Dans la course aux métaux critiques, c’est la destruction des habitats qui en résulte et c’est l’exploitation de la main-d’œuvre qui en est le prix.

En éducation, nous devrions privilégier l’observation, l’expérimentation, l’apprentissage du dialogue, la rationalité, le sens artistique et émotionnel. Ces habitudes ancestrales pourraient avoir encore de beaux jours devant elles.  

Remerciements

Sur ce, collègues, je vous annonce la fin de mon travail de chroniqueur ni optimiste ni pessimiste – deux attitudes dérisoires. Mon but était d’étudier le passé, de comprendre le présent et d’anticiper l’avenir.

Merci à la FAM pour sa confiance. Merci à Isabelle, conceptrice lumineuse, pour sa touche iconographique. À Guy et à Huguette auparavant.

Merci à Louise, ma compagne, pour ses heures de réécriture. Merci à mes critiques pour leurs répliques judicieuses à mes propos.

Longue vie à la FAM !

(1) Couture, Patrick, La Préhistoire du Québec, Biblio Fides, 2019