Le cinéma québécois est en mouvement

Le cinéma québécois domine actuellement le palmarès des festivals. Il serait fastidieux d’énumérer tous les Gémeaux et les Prix du public que les films d’ici ont remportés. Ces films exposent à leur façon les différences de genres, de classes sociales, de générations ou de professions qui rendent inconfortables les individus et concourent aux clivages sociétaux. Le désarroi, l’ironie, la nostalgie et la passion s’invitent dans ces œuvres remarquables. Les nuances des messages et le brio des interprètes l’emportent souvent sur bien des productions hollywoodiennes. Rendons hommage à quelques-unes de ces productions récentes.

UNE FEMME RESPECTABLE (2023)

Réalisateur : Bernard Émond

Suite à l’invitation de la Maison 4 Tiers, le 5 septembre dernier, au MBA, nos cinéphiles de la FAM ont participé à un ciné-club improvisé. Merci Céline. La projection du film de Bernard Émond, présent dans la salle, a suscité des commentaires intéressants, lors de l’échange qui a suivi. Le cinéaste se démarque de la tradition où les protagonistes sont à 100% bons ou mauvais, héroïques ou crapules. Dans la vraie vie, disait-il, il n’y a rien de tel.

SOLO (2023)

Réalisatrice:Sophie Dupuis. Meilleur film canadien, au TIFF. Troisième film de la cinéaste, après Chien de garde et Souterrain.

L’univers des Drag queens y est exposé sans pudeur. Au-delà de la question sensible des genres masculin et féminin, c’est le problème de la solitude affective et des relations toxiques qui domine le scénario. L’atmosphère glauque de la vie nocturne, la musique tonitruante, les costumes en quête d’une féminité factice, l’homosexualité en toile de fond, voilà les ingrédients d’une expérience cinématographique grandiose et sidérante. L’acteur Théodore Pellerin offre une performance exceptionnelle. Le spectateur en ressort avec un respect accru pour les multiples facettes de notre commune humanité.

KUESSIPAN (2019)

Réalisatrice : Myriam Verreault

Grâce à la générosité d’un cinéphile chevronné, M. Jean St-Amant, animateur du ciné-club de Brébeuf, et de la présence de Madame Verreault, réalisatrice du film, nous avons assisté à une prestation d’acteurs Innus, au sein même de leur communauté d’Uashat, près de Sept-Îles. Le film relate les hauts et les bas de ce peuple sensible, à la culture menacée, écartelé entre les sirènes de la technologie blanche et le respect des valeurs ancestrales. L’oeuvre de la cinéaste a été inspirée d’un livre de Naomi Fontaine. On assiste principalement aux dérives d’une jeunesse en crise, à l’amitié de deux adolescentes innues, à l’interférence d’un amoureux blanc et du sursaut de fierté autochtone des deux amies.

SIMPLE COMME SYLVAIN (2023)

Réalisatrice : Monia Chokri. Production franco-québécoise.

Accueilli avec faste au Festival de Cannes et au TIFF, ce film est magistral, tant pour le scénario que pour la mise en scène, la photo et la technique. La rencontre de deux êtres, – elle prof d’université, lui, charpentier manuel – déclenche une passion torride. À cause de leurs différences culturelles, des codes sociaux et de l’usure de la passion, on assiste à l’effritement progressif de leurs liens. Voilà un exposé crédible du problème de la communication et des facettes complexes de l’amour, d’un point de vue féminin.

RICHELIEU (2023)

Réalisateur : Pier-Philippe Chevigny

Le film décrit sans complaisance le sort des travailleurs saisonniers issus de l’immigration. Le drame se déroule dans une usine alimentaire où des ouvriers guatémaltèques sont exploités sans vergogne par des patrons québécois. Leurs droits sont fictifs. Leurs conditions sont celles des esclaves de l’antiquité. La peur d’être refoulés dans leur pays d’origine les contraint aux pires conditions physiques et morales. Les patrons, bien que conscients de cette exploitation, sont eux-mêmes soumis à la compétition sauvage qu’impose le capitalisme. À travers ces destins croisés, des liens d’empathie se tissent entre les travailleurs et une gérante d’établissement, jusqu’à la démission de celle-ci pour cause de solidarité avec ces damnés de la terre.

LES JOURS HEUREUX (2023)

Réalisatrice : Chloé Robichaud  Sélection officielle, 2023, au TIFF

On parle souvent de la difficile conciliation travail-famille. Imaginez alors le cas où ce travail est celui d’une jeune cheffe d’orchestre à l’OM, dont le gérant est son propre père, un homme possessif, inculte et brutal. Ajoutez à cela un amour complexe avec une musicienne issue de la diversité, elle-même écartelée entre cette relation insolite et la chape de plomb culturelle de sa famille. Comme si ce n’était pas assez pour mettre en danger une carrière exigeante, s’ajoutent à cela les préjugés habituels à l’endroit d’une femme aspirant à un poste traditionnellement masculin. Voilà un cocktail d’obstacles que l’héroïne (Sophie Desmarais) doit surmonter. Par chance, la musique de Mozart, de Shoenberg et de Mahler, sous la direction de Yannick Néguet-Séguin est là pour apaiser nos cœurs.

TESTAMENT (2023)

Réalisateur : Denys Arcand

Testament, le dernier film d’Arcand, ne laissera personne indifférent. Certains l’ont aimé, d’autres l’ont détesté. La mise en scène est réussie, si ce n’est que le découpage de l’histoire en brèves séquences disperse l’attention du spectateur. Les prestations furtives de plusieurs vedettes du terroir agrémentent le scénario. Leurs réparties sont souvent drôles, ce qui contribue à détendre l’atmosphère baveuse du film. Comme dans ses films précédents – notamment L’âge des ténèbres – Denys Arcand règle ses comptes avec une société québécoise en déclin. Son alter ego, Jean-Michel (Rémy Girard) porte un regard désabusé sur les travers des jeunes et des vieux, des militants, des politiciens et des fonctionnaires.  Seules échappent à son mépris une Mohawk, authentique et digne, et une directrice de résidence piégée par le système, envers qui le héros, en déficit d’affection féminine, trouve grâce.

Ce qui m’a personnellement déplu, c’est cette posture d’intellectuel bourgeois au-dessus de la mêlée, ce je-me-moi qui se lave les mains des turpitudes d’un Québec colonisé. Jean-Michel, alias Arcand, connaît bien les racines historiques de ce désarroi, mais il n’a aucun scrupule à faire des victimes l’objet de ses sarcasmes. Qu’il soit pessimiste, c’est un droit qu’il partage avec certains historiens. Mais, contrairement à ces derniers, il préfère se défouler, plutôt que de partager le sort de sa communauté. Il s’en excuse en alléguant la complexité du monde – comme si ce monde était simple pour les autres. Un sursaut d’instinct paternel sauve le happy end incongru. On retient qu’il existe une foule de minables et quelques cas d’exception comme lui. Voilà un testament bien mince de la part de Jean-Michel.

À la défense d’Arcand, il serait exagéré de l’identifier au personnage de fiction qu’il a créé. Ce sont plutôt les réflexions du cinéaste, à l’occasion d’entretiens publics qui accréditent cette perception. Par souci de justice, il conviendrait de le questionner sur la part d’autobiographie de l’oeuvre. N’empêche qu’il est loin, le temps des chefs-d’oeuvre de ce grand réalisateur d’avant Le déclin de l’empire américain. Autant ses films étaient animés d’un souci de profondeur et de nuances, autant les derniers sont sans retenue, subjectifs et populistes. Pendant que les maigres fonds publics dédiés à la culture cinématographique profitent aux vedettes, nos jeunes pousses – surtout des femmes – doivent se contenter d’aumônes.