À VOS MARQUES! 

2024 est une année olympique. Nous verrons bientôt des coureurs remporter des médailles par quelques centièmes de seconde. De quoi alimenter les cotes d’écoute et flatter les fibres nationales.

Ce culte du « mérite » m’a toujours paru contre-productif. Car le triomphe d’un vainqueur s’accompagne de la défaite des vaincus. Ce n’est pas seulement dans les sports que ce culte du podium existe. Les compétitions sportives sont à l’image des pratiques commerciales, industrielles et militaires, par exemple. L’histoire abonde de penseurs, d’artistes et d’inventeurs qui ont été éclipsés par des individus ou des groupes concurrents se sentant menacés dans leurs intérêts ou leur prestige. En voici quelques exemples, pêle-mêle.

  • Le philosophe et théologien Abélard (1069-1142), amant d’Héloïse, fut séparé d’elle de force et émasculé, à cause de ses idées avant-gardistes. C’était trop pour un chanoine fermé à tout débat.
  • Giordano Bruno (1548-1600), également philosophe, gagné à la thèse de Copernic (héliocentrisme) fut brûlé vif sur ordre de Rome. Galilée a évité le même sort, mais fut forcé de se rétracter. On refusait à ce fondateur de la mécanique moderne – avec Newton – de monter sur le podium de la science. L’Église l’a réhabilité en 1992, trois siècles et demi plus tard, la Terre tournant bel et bien autour du Soleil!
  • Descartes, Spinoza, Voltaire, Victor Hugo et des centaines d’autres ont été traqués, menacés et bannis. Sans parler des milliers de femmes, reléguées dans des couvents – sorte de prisons –, pour leur talent littéraire dangereux, leur esprit d’indépendance ou comme otages politiques.
  • La paternité d’inventions, même brevetées, a donné lieu à d’illustres batailles devant les tribunaux. De vrais duels olympiques. Un cas célèbre est celui opposant deux inventeurs du téléphone, Graham Bell et Antonio Meucci, de 1876 à 1889, et s’achevant avec la mort de ce dernier.
  • À la veille de la Première Guerre mondiale, la mort mystérieuse de l’Allemand Rudolf Diesel (1858-1913), inventeur du moteur à l’huile lourde – et même à l’huile végétale – a mis fin à une brillante carrière. Probablement ruiné, il est disparu à bord d’un navire en route vers l’Angleterre. Son cadavre fut retrouvé, flottant à la dérive. Sa mort a toutes les allures d’un assassinat pour raison politique ou commerciale
  • Georges Bizet (1838-1875) a connu moins de succès avec ses opéras que bien des musiciens médiocres. L’ultime et splendide Carmen, a été froidement accueilli à la première par les auditeurs bourgeois de l’époque. Ils trouvaient inconvenant qu’une fille du peuple, Carmen, se joue de ses amants haut gradés, au mépris des conventions sociales. Quel scandale! Le pauvre Bizet mourut d’une crise cardiaque, la même année. Néanmoins, sa mort a eu l’avantage de propulser l’oeuvre triomphalement en France et à l’étranger.
  • Autre exemple : Alphonse de Lamartine (1790-1869), poète et homme politique préoccupé par les questions sociales. Progressiste pour les uns, conservateur pour les autres, il connut le succès électoral pendant quinze ans, mais mordit la poussière devant l’aspirant Bonaparte, futur Napoléon III. Son amertume est palpable, comme il l’exprime dans ces vers célèbres : « Mon cœur, lassé de tout, même de l’espérance,/ N’ira plus de ses vœux importuner le sort;/ Prêtez-moi seulement, vallon de mon enfance,/ Un asile d’un jour pour attendre la mort. » Que de pessimisme! À sa place, j’aurais plutôt écrit : Mon cœur, heureux d’avoir combattu la bêtise/ N’ira plus désormais siéger à Paris./ Vieillir dans mon vallon, quelle retraite exquise!/ J’exulterai de joie auprès de mes amis.
  • Dernier exemple d’une compétition féroce : Einstein contre Hitler et certains scientifiques. Ces derniers trouvaient inconcevable qu’un juif l’emporte sur des physiciens « de race supérieure ». Il avait formulé : « La vitesse de la lumière dans le vide, soit 299 792 458 m/s = 2,997 924 58 x 108 m/s (environ 300 000 km/s, ce qui correspond à un facteur c2 d’environ 9 x 1016 m2 s-2).  La théorie de la relativité répugnait à un nazi! Einstein dut s’exiler. Les Jeux Olympiques de 1936 allaient amplifier la fureur du Führer, lorsqu’un coureur afro-américain remporta quatre médailles.

Conclusion

Avec le temps, victoires et défaites tendent à s’amenuiser, au profit de l’expérience elle-même. Peu se souviennent, après dix ans, d’un but gagnant au hockey et de son compteur.

Comme dirait un vieux barbu: « Athlètes de tous les pays, unissez-vous! Vous n’avez rien à perdre que vos médailles. Dites au monde: Grouille ou rouille. »