Partons la mer est belle

Tout a été préparé de longue date. Ce n’est pas un voyage, mais une grande aventure qui est proposée aux marins de Saint-Malo. Son capitaine, Jacques Cartier, est un homme érudit, bon géographe et qui possède de bonnes connaissances en astronomie. Sans compter qu’il est un meneur d’hommes naturel, pas un leader, pas un influenceur, un meneur d’hommes. De la force de persuasion, il lui en faudra.

Son itinéraire, c’est l’océan, mais il a dû promettre à ses matelots qu’ils reviendraient sans faute pour la saison des vendanges, ou avant que les tonneaux de vin soient à sec dans la cale du navire, selon la 1re éventualité. Petit matin brumeux au lever du jour le 20 avril, c’est avec un aurevoir déchirant que tous les marins appuyés contre le bastingage font leurs adieux à la foule qui se presse sur le quai. Comme dans la chanson Partons la mer est belle, que tous les Bretons connaissent, les voiles sont hissées aux mâts, et leur bon roi Françoé 1er les protégera.

On est en 1534, pas de pétrole, pas de moteur, que le vent quand il vente, sinon on rame désespérément, ou on boit ce qui reste de vin pour oublier qu’on va nulle part. Après 20 jours de flottaison dans l’infini, enfin les marins voient au loin une terre rocailleuse, inhospitalière. D’après le récit fait dans le Grand Journal de 22 heures de Jacques Cartier, le seul qui sait écrire à bord naturellement, il est arrivé au cap Bona Vista sur la pointe nord-est de l’île de Terre-Neuve. Pouvons-nous imaginer un instant toutes les émotions qu’ont vécus ces marins extraordinaires ce jour-là! Cartier avait navigué en gardant le cap directement vers l’ouest avec comme seuls outils de référence la boussole et les étoiles, comme dans le chant des pêcheurs bretons: Le ciel est pur et beau; Je vois briller l’étoile, Qui guide les matelots! Tout à fait! Les marins tels que Jacques Cartier savaient utiliser le fameux sextant. La boussole était très peu fiable. C’était juste bon pour de courtes distances, genre aller sur l’île en face, l’Angleterre, pour faire la guerre au moins une fois par année. Le sextant, appareil relativement portatif, muni d’un viseur et d’une échelle angulaire pour mesurer la hauteur d’une étoile connue, permettait de mesurer la latitude avec une précision relativement bonne, et de corriger le cap en conséquence, si bien sûr le ciel brillait de toutes ses étoiles, dont Sirius, Arcturus, Vega… et quelques autres!  Encore fallait-il être capable de les reconnaitre, ce que peu de marins pouvaient faire. À l’époque de Jacques Cartier, avec le voilier qui se balançait au gré du vent et des vagues, la précision en mer était de l’ordre de quelques milles marins. Eh bien, Jacques Cartier, le grand géographe océanique, a quitté Saint-Malo situé à une latitude de 48o 39′ N et a touché terre à Terre-Neuve au cap Bona Vista situé à une latitude de 48o 39′ N. Chaque minute d’angle correspond à un mille marins. On comprend que le sextant a pris un coup de vieux depuis l’introduction du système de navigation par GPS en 1978 qui a réduit l’erreur sur la position théorique à une dizaine de mètres. Mais en cas de panne de ce système extraordinaire, le sextant serait dépoussiéré pour reprendre du service. Et Jacques tint promesse. Après un peu de tourisme dans le golfe du St-Laurent, il rentra en France en septembre.

Mais imaginons qu’un des marins aurait trafiqué le sextant de Jacques Cartier parce qu’il espérait aller voir ailleurs où ce serait plus chaud qu’en Bretagne. Cartier aurait pu débarquer là où poussent les ananas. Et la République du Québec dans mes lunettes de réalité virtuelle ressemblerait peut-être à ceci : Ce matin, 1er février 2024, je vois René qui part de chez lui à vélo pour profiter de la belle journée qui s’annonce avant qu’il fasse trop chaud. Ah ben, Christiane est assise sur sa belle terrasse neuve pour lire ses courriels reçus durant la nuit. Il y en a tellement, c’est une avalanche sur l’écran de son MacBook Air. Denise est sortie voir ses orangers dans son jardin. Elle pense qu’elle pourrait cueillir un plein sac d’oranges bien mures aujourd’hui pour donner aux amis qu’elle va voir ce soir. Et Carole, toujours tellement heureuse de l’endroit qu’elle habite, ça se lit dans son visage partout où elle passe. Justement la voilà qui est partie marcher sur sa rue bordée de cocotiers. Elle pense qu’il faudrait bien trouver quelqu’un qui veuille bien ramasser toutes ces noix de coco qui sont à maturité avant qu’une d’elles lui tombe sur la tête. Avec mes lunettes je vois tout en 360o. Tiens, je tourne la tête et voici que j’aperçois Sylvie. Elle demeure en banlieue, là où on peut profiter à tous les jours de sa piscine creusée. C’est un de ces matins tranquilles où il fait si bon se baigner au soleil avant d’aller courir son 5 km pour se garder en forme. Me voilà maintenant près de la Rivière des Bananiers. J’aime tellement cet endroit. Bien sûr, Guy, qui a la chance d’avoir une demeure le long de la rivière, travaille un peu comme à tous les matins dans son jardin qu’il affectionne plus que tout au monde. C’est beaucoup de travail que de s’occuper d’hibiscus qui ont maintenant 5 mètres de haut avec des fleurs brillantes comme autant de soleils dans sa vie, sans parler de son fameux bananier au milieu de sa cour qui ressemble à une herbe géante qui ne fait pas moins de 8 mètres de haut. Heureusement qu’il est en bonne forme physique pour voir à l’entretien de ce jardin paradisiaque!

Et si on réécrivait l’histoire, disons que Jacques se serait rendu compte qu’il flottait en des eaux plus chaudes, et après vérif, il aurait découvert le pot aux degrés trafiqués : Mettons que la latitude réelle était de 30o Nord. Il aurait exploré la région et devant la beauté de ces bayous, il aurait remonté le Mississippi jusqu’à cette place où le Mississippi se torsionne comme un serpent, qui deviendra en 1718 la Nouvelle-Orléans en l’honneur du duc Philippe d’Orléans.