Accueillir un ambassadeur

Les rencontres entre hôtes et ambassadeurs donnent lieu parfois à des amitiés durables. Des retrouvailles et des échanges de lettres consolident cette amitié.

Ce n’est pas toujours facile. Une fois levée la barrière de la langue, il reste à voir si les codes culturels des deux personnes sont compatibles. Sinon, l’échange risque d’être improductif.

Reconnaissons qu’une personne en visite à l’étranger doit faire un effort pour s’adapter à un milieu inconnu. Cet effort varie selon sa capacité à apprivoiser les lieux et les personnes. Mais le succès de l’échange tient aussi à la flexibilité de l’hôte ou hôtesse à gérer les relations, avec humour et ouverture, sans condescendance ni familiarité excessive.

Quelle hospitalité inspirante pouvons-nous offrir, lors d’un échange?

Avant de répondre à cette question, permettez-moi de vous raconter, exceptionnellement, quelques faits divers qui ont jalonné ma propre enfance. Placez-vous dans l’esprit d’un ambassadeur ou d’une ambassadrice. Mon parcours n’a rien de phénoménal, si ce n’est que j’appartiens à une espèce en voie de disparition, à savoir la génération de la fin des Années ’30 du siècle dernier. Comme disait Charles Aznavour, Je vous parle d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître.

Mes jeunes années

En 1947, j’avais dix ans. Je patrouillais dans les rues voisines de la mienne en toute liberté, un phénomène rare de nos jours. Comme tous les garçons de mon âge, je jouais au hockey en pleine rue.

Cette année-là, j’avais récolté des glands à profusion. Le parc Jarry, à Montréal, avec son boisé de chênes majestueux était mon terrain de jeux préféré. À cette époque, le parc n’avait pas l’allure léchée qu’il a maintenant. Il faut vous dire que j’étais plus rat des champs que rat des villes. Dans ce quartier Villeray où j’ai passé mon enfance, la faune et la flore sauvages avaient encore droit de cité.  À quoi servaient mes glands? – De munit ions pour les combats entre copains (nous sortions de la Deuxième Guerre mondiale).

À quelques rues de là se trouvait une glacière. J’y achetais des blocs de glace de 50 livres que je transportais dans ma petite voiture, enveloppés dans des couvertures de laine pour les protéger du soleil. Le réfrigérateur est venu plus tard.

À proximité, il y avait une pâtisserie. On pouvait y acheter un petit sac de retailles de gâteaux pour 5 cents. Délicieux!

Pendant la guerre, le beurre, le sucre, les œufs étaient rationnés. Mais des épiciers véreux vendaient ces denrées au marché noir. Ces gens d’affaires ont fondé plus tard une association d’épiciers indépendants dont la bannière flotte partout au Québec. Je leur dois beaucoup : ils m’ont appris l’abc du capitalisme prédateur mieux qu’un prof d’université.

Dans les tramways, l’hiver, il faisait froid. Le conducteur criait : «Avancez en arrière! » Des femmes tenaient par le cou des poules vivantes, achetées au marché Jean-Talon.

Côté éducation, j’étais plus ému par le sourire furtif d’une jolie fille que par les prières redondantes, à la radio, d’un prince de l’Église (un cardinal). Avant d’adopter le comportement prescrit par les grandes personnes, j’ai toujours préféré observer celui des bêtes sauvages. Par exemple, je constatais à la ferme qu’un étalon fringant respectait le libre consentement d’une splendide jument qu’il convoitait, mais qui était sur pause amoureuse. J’admirais aussi un couple d’orignaux mâles en compétition qui ne cherchaient pas vraiment à se détruire, mais qui voulaient offrir le meilleur bagage génétique à leur harde.

Enfin, mon passe-temps préféré était de voir circuler l’eau de fonte, au printemps, de rigole en rigole. Mon amour de l’hydrographie est né dans ce quartier avec les chats de ruelle comme assistants et les derniers chevaux comme admirateurs. C’était mieux pour mes yeux et mon cerveau que l’écran d’un téléphone et des images pornos.

Voilà. Je m’arrête ici. Ces quelques anecdotes suffisent à faire connaître les valeurs d’une époque révolue, bien implantées dans un quartier de Montréal.

Retour sur la question initiale : Quelle hospitalité inspirante pouvons-nous offrir à un ambassadeur étranger?

Les anecdotes d’un hôte, d’une hôtesse, lors d’un hébergement, ont la capacité de briser la glace entre deux interlocuteurs. Elles peuvent servir de levier à des conversations inspirantes, engagées. Elles peuvent s’étendre ensuite aux actualités qui affectent leurs deux peuples. Elles peuvent susciter dans certains cas une amitié forte, même éphémère.  Il me paraît approprié d’ajouter cette dimension intime, dans les limites convenables, à l’expérience du visiteur. C’est ce que j’ai tenté de faire en vous parlant de mon enfance. Autrement, Montréal aurait l’allure d’une carte postale, et nous d’agents de voyage. L’étranger désire vivre d’autres vies que la sienne, tout en recherchant des affinités entre sa propre culture et la nôtre. Voyez l’excellent Boucar qui passe avec aisance de son Sénégal natal à son Québec d’adoption! L’hôte ou l’hôtesse peut établir des ponts, et non des fossés, d’humain à humain, de façon à rendre intelligible et captivant un Montréal multiple. L’aménagement urbain n’est intéressant que s’il répond aux besoins du vivre-ensemble. Par exemple, si l’hôte montre à son ambassadeur des escaliers extérieurs joliment ouvragés, ce dernier gagnera à savoir pourquoi ces structures sont tombées en désuétude. Ce sera l’occasion de lui parler de la sécurité en cas d’incendie, de l’entretien des marches glacées en hiver et des déménagements fréquents des locataires, majoritaires à Montréal. Après ces explications, l’ambassadeur rentrera chez lui, débarrassé d’idées préconçues sur notre art de vivre.

En résumé, grâce à l’évocation de faits divers, l’hôte établira une certaine complicité avec son ambassadeur.