DES NOUVELLES D’HOMO SAPIENS, partie 1 

S’il est un livre à découvrir, c’est sûrement Au commencement était…,- une nouvelle histoire de l’humanité-, de David Graeber et David Wengrow (1). Ces deux experts – l’un anthropologue, l’autre archéologue – ont entrepris de montrer la créativité de notre espèce, Homo Sapiens, depuis plus de deux cent mille ans. Ils soulignent que si une évolution s’observe bel et bien chez des groupes humains vivant à proximité l’un de l’autre, on peut remarquer des variations étonnantes dans leur comportement. Mieux encore – ou pire, selon le point de vue – on assisterait aujourd’hui à des retours en arrière d’organisations politiques, centralisées ou non, et d’abandons de pratiques agricoles pourtant connues et expérimentées, au profit de la cueillette et de la pêche, par exemple dans les régions de la Haute- Californie et de Vancouver. (Pensons aussi à Hochelaga, région  désertée par les agriculteurs Iroquois, pour une raison inconnue, entre les passages de Cartier et de Champlain.)    (Note personnelle.)

« Pendant l’essentiel de leur existence sur terre, les êtres humains auraient vécu au sein de petits clans de chasseurs-cueilleurs. Puis l’agriculture aurait fait son entrée et avec elle la propriété privée. Enfin, seraient nées les villes, marquant l’apparition non seulement de la civilisation, mais aussi des guerres, de la bureaucratie, du patriarcat et de l’esclavage.

Ce récit pose un gros problème : il est FAUX .» (2)

Ainsi, les auteurs rejettent fermement la thèse d’une évolution uniforme de l’histoire. Reconnaissons que les inventions modernes d’ordre matériel tendent à accréditer la thèse d’un cheminement rectiligne et unilatéral des sociétés. Bien sûr, le récit biblique du jardin d’Eden, mettant en vedette Adam et Ève, a longtemps brouillé ce scénario idyllique, puisqu’il évoquait, après un début prometteur, une déchéance intempestive. Cet événement – la naissance de l’univers – aurait eu lieu en 3988 av. J.C., selon Sir Isaac Newton et autres experts du 17e siècle. Même au début du 19e siècle, on croyait encore que la fin d’octobre 4004 av. J.C. était la date exacte. Une différence de 3,4 milliards d’années avec nos données actuelles. (3)

De nombreux spécialistes ont traité le sujet abordé ici. Citons Claude Lévi-Strauss, Barbara Mann ou encore Yuval N. Hariri (Sapiens). N’étant pas un expert, je me garderai d’apprécier leurs points de vue. Mais je soupçonne que d’autres chercheurs ultra-spécialisés traînent pour leur part l’hypothèse d’une évolution répétitive et prévisible. Pour nombre d’entre eux, les données archéologiques qui présentent des sociétés inclusives, équitables et libres de chasseurs-cueilleurs intelligents n’ont pas été pensées comme méritant un second regard. Les États autoritaires et violents, la guerre, le choix de l’agriculture comme mode de subsistance par excellence, la sédentarité, la propriété privée et l’oppression des femmes seraient, au contraire, des phénomènes permanents et irréversibles. C’est comme si – estiment Graeber et Wengrow – l’élection des femmes à la tête de nombreux États, le choix de vie des hippies, des moines et des aborigènes, ou encore l’existence de quartiers populaires autogérés n’étaient qu’anomalies à ignorer.

Toutefois, depuis le siècle des Lumières (18e siècle) et surtout à la suite de Darwin (19e siècle) des anthropologues tentent de sortir de ce carcan traditionnel. Les avancées archéologiques successives ont mis à mal la lecture biblique mais en lui substituant un déterminisme aussi absolu, ne laissant aucune place à l’imagination, à la raison et à la liberté.

Les exemples de sociétés polyvalentes dans leurs modes d’organisation abondent dans ce livre très dense. On les retrouve aux quatre coins de la planète à travers le temps long de l’histoire, et non pas seulement à la fin du Néolithique. Pour ma part, malgré mes réticences à surestimer les facteurs arbitraires, je dois reconnaître que ce qui n’est pas conforme aux schémas habituels semble aussi notable que le contraire.

Il reste à découvrir quelques-uns de ces modèles de civilisation autonomes, non-bloqués et moins ennuyeux. À suivre.

(1) Graeber, David et Wengrow, David, Au commencement était…Une nouvelle histoire de l’humanité, éd. LLL, Les liens qui libèrent, 2021, 745 pages

(2) Ouvrage cité, quatrième de couverture

(3) Ouvrage cité, page 106